Je suis d'accord avec toi, la gestion est aussi importante que le développement. D'ailleurs, la gestion est un composant essentiel du développement; sans elle, il est impossible de concrétiser le développement. Cependant, je ne pense pas qu'il soit intelligent de se parer derrière le mur de la gestion afin d'occulter complètement les autres éléments du développement.
Une vision globale, dans le domaine de l'urbain, c'est le pilier de toute la construction qu'est la ville. Si on décide de ne pas construire de pilier et qu'on préfère construire petit bout par petit bout de petits projets autour de rien, la construction est soit vouée à l'échec, soit vouée à rester de très petite ampleur.
Et lorsqu'on dit les élus, il faudrait plutôt dire le politique. Parce que les élus ne sont pas les seuls à ne pas voir plus loin que le bout de leur nez. Il y a d'autres acteurs au Québec qui agissent contre l'urbanité, soit à la glorification du NIMBY (pour certains citoyens ou associations citoyennes qui ne voient pas très loin non plus), soit à l'échelle extramunicipale (pour la Chambre de Commerce, ou pour tous les acteurs économiques qui ne sont pas foutus de mettre Sherbrooke sur la carte, même si ça leur serait pourtant si facile, en comparaison avec d'autres villes), soit au niveau provincial (avec un gouvernement qui semble considérer la question municipale comme quelque chose de seconde zone et qui ne comprend pas que le développement du Québec passe d'abord et avant tout par le développement des villes).
Sévigny, qui se plait à réaménager son hôtel de ville, devrait plutôt penser à réaménager sa ville. J'espère au moins que, dans ce processus, il en profitera comme tu dis pour travailler dans le sens du déblocage des projets urbains.
Je ne sais pas si c'est culturel, mais en tout cas, il faut que ça change, et le plus tôt sera le mieux.
J'ai eu un cours très intéressant (avec une prof ennuyeuse, mais bon...) qui m'a fait réfléchir à quelque chose concernant Sherbrooke. Elle mentionnait qu'il existe plusieurs type d'actions qu'on peut mener dans une ville, de la moins ambitieuse à la plus ambitieuse:
-L'entretien de l'existant.
-L'amélioration de l'équipement (infrastructures routières, aqueducs, etc).
-L'aménagement du territoire (surtout paysager).
-Le développement (qui relève d'un projet beaucoup plus global).
Je crois que Sherbrooke n'a dépassé que très rarement le stade 2 (si on considère par exemple la promenade du Lac des Nations au stade 3, mais un stade 3 très timide). Montréal a peut-être quant à elle été la seule à passer au stade 4 à quelques reprises, mais c'est encore pas très au point... The Rock, l'entretien d'une ville est nécessaire, oui. Par contre, cela ne démontre absolument aucune vision d'avenir, aucun intérêt dans un développement futur et global... On ne peut pas se permettre encore aujourd'hui de considérer la vision urbaine comme un luxe; comme quelque chose qu'il ne soit pas nécessaire d'atteindre afin de survivre dans l'avenir. Au contraire, on doit peindre la ville en se basant sur une
vision bien définie et claire pour tous afin d'espérer survivre à long terme.
Je pense aussi qu'il faut arrêter d'essayer de contenter tout le monde. On a cette fâcheuse manie au Québec, de créer une commission X contre la construction d'un édifice et pour la conservation des grenouille herbivores de l'Étang aux Truites ou encore de créer une enquête Y de 20 ans sur la probabilité que la construction d'un immeuble commercial risque de causer l'effondrement de la clôture en bois à Jean Dubrun (ou encore de créer un règlement qui dit qu'on peut pas cacher le Mont Bellevue à 30 degrés à l'est de la rue Z, entre les deux arbres et le gros rocher). Tout ça, ce sont des pensées qui sont dépassées. Il faut se rendre à l'évidence, ça ne fonctionne pas et au lieu d'être bénéfique pour les uns, ça devient un problème pour tous en bloquant les projets et en posant un poids économique immense et inutile sur la collectivité. Quelqu'un DOIT prendre des décisions à quelque part, que ça plaise à tous ou non, POUR AUTANT que ça suive la vision élaborée par tous... Il faut arrêter de bloquer les projets pour des détails emmerdants. La France a démontré qu'il était possible, dans un système décentralisé (comme au Québec) et où les moyens financiers n'affluent pas particulièrement, de proposer un développement urbain cohérent, dynamique et durable.
Il y a un autre point qui ne ressort pas souvent non plus dans les discussions urbaines au Québec: celui de la définition régionale.
J'adore l'ambiance dans les régions françaises pour une (selon moi) très bonne raison: partout, on met de l'avant le produit régional, le paysage régional, les particularités régionales, bref, le régionalisme. Il est vrai qu'ici, les régions sont riches d'histoire et de patrimoine culturel sur plusieurs centaines d'années, ce qui n'est pas le cas au Québec. Mais même... Au États-Unis, j'ai l'impression que ce sentiment est plus fort entre les villes/régions, et pourtant c'est pas plus vieux que le Québec.
Cependant, le Québec profite d'une bien plus riche diversité paysagère que la France, et est incapable de mettre ne serait-ce que ça de l'avant (même dans le tourisme, on dirait qu'on voit le régionalisme comme quelque chose de maladif). En fait, on produit partout, dans les projets urbains, le même type de ville: toutes sur le même modèle urbanistique, économique et social.
Or, depuis que je suis ici, je n'ai jamais été aussi fier de provenir de Sherbrooke, de la belle région des
Eastern Townships. Je me vois de moins en moins habiter dans le le reste du Québec (sans rancune pour les autres personnes non sherbrookoises ici
), mais de plus en plus à Sherbrooke (ou en France, mais ça c'est une autre question). Je considère de plus en plus l'Estrie comme étant une région particulière, très distincte des autres régions de la province. Je considère de moins en moins les Cantons-de-l'Est comme faisant partie d'un "Québec unique" (mais ça ne veut pas dire que je crois à une indépendance estrienne, attention). Je me demande sérieusement si le Québec ne gagnerait pas à créer un palier régional de gouvernement (mais un vrai, pas juste un niveau touristique informel). En fait, je crois que c'est ce que le Québec aurait dû faire. Au lieu d'avoir créé son système d'MRC qui ne fonctionne pas et qui ne fait que perpétuer à plus grande échelle les guerres de clochers, le gouvernement aurait eu tout intérêt à mettre en place une instance étatique régionale qui se serait occupée des affaires municipales (entre autres, mais surtout). Ça aurait permit, je le crois fortement, de donner un nouvel essor urbain aux grandes villes du Québec et aux régions, en mettant la priorité sur la culture régionale (car oui, il en existe une), sur l'histoire des régions et sur la distinction entre chacune des régions. Cela aurait probablement aidé aussi à la mise en place de
véritables pôles de concurrence et donc à de véritables changements éventuels. Dans ce système, les villes sont obligées d'innover pour survivre, et ça revient à ce que Le Calmar a dit: l'immobilisme ne deviendrait plus une option potable politiquement. Je prend un exemple... Si on décidait de construire un tramway à Sherbrooke, c'est toute la région estrienne qui devrait débourser et s'impliquer dans le projet, car c'est quelque chose qui ferait rayonner la ville et qui la distinguerait du reste du Québec; qui donnerait une nouvelle fierté à la métropole régionale; qui obligerait les autres régions à se comparer à l'Estrie et à se dire "Oui, moi aussi je veux un tramway". Ici, lorsqu'on parle de la région particulière d'un individu, on voit tout de suite des yeux s'illuminer et cet individu est capable de vous vanter sa région sans borne indéfiniment. J'aimerais avoir ce genre de conversation au Québec; mais de vraies conversations. Il faut que les gens s'approprient leur territoire. C'est la base pour arriver à construire une vraie urbanité et ça se joue à tous les niveaux (économique, social, culturel, paysager, urbanistique, politique...).
Je ne sais pas ce que vous en pensez.
Je suis d'accord, Lio, lorsque tu dis que Sherbrooke est plus ou moins comme toutes les autres villes du Québec. C'est vrai que c'est ce que le système en place propage comme image: un Québec unique et sans distinction particulière, où la région n'est rien de plus qu'une frontière tracée sur une carte (frontière qui ne fait jamais l'unanimité d'ailleurs, mais comme il n'y a pas de système politique régional, tout le monde s'en contre-fou). Un Québec où les entreprises ne sont pas vraiment plus attirées par une région ou par une autre. Les Chambres de Commerce devraient prendre une place prioritaire dans l'aménagement urbain, en indiquant, selon les actifs actuels, les éléments qui sont particuliers à une région ou à une ville. En ce moment, ce travail n'est pas effectué (ou s'il est effectué, personne n'en voit les résultat).
Au bout de cet effort régional, les Québécois de partout devraient être capable de se dire: "Sherbrooke? Ah oui! C'est la ville avec le Tramway..." Ou encore... "Sherbrooke? C'est pas là où il y a une grande concentration d'industrie textile?" Ou même... "Tu sais, Sherbrooke... La cité dans les montagnes!" (Par exemple)
Parce qu’honnêtement, même aujourd'hui, alors que la ville a beaucoup travaillé sur son image universitaire, les gens à l'extérieur ne connaissent pas du tout Sherbrooke pour ce côté-là... Et du côté intramuros, même Sherbrooke ne se sert pas de ses universités à leur plein potentiel pour se développer.
P.S. Oui, je connais ces personnes. Enfin, ce ne sont pas des amis proches, mais je les connais.