Doit-on raser le boulevard Taschereau?
«Il serait déraisonnable de penser que la Rive-Sud peut se passer de cette artère de circulation majeure», estime un chercheur de l'INRS.
Photo André Pichette, La Presse
François Cardinal
La Presse
Le boulevard Taschereau est l'exemple parfait d'une artère commerciale à ne pas reproduire. Horrible pour certains, non fonctionnel pour d'autres, cet important axe routier de la Rive-Sud doit-il être carrément rasé ? Ou si, plutôt, on le laissait mourir à petit feu, asphyxié par le nouveau Quartier DIX30?
Des dizaines de lecteurs ont écrit à La Presse, hier, pour réagir à notre dossier sur le nouveau «Lifestyle Center » de Brossard et sur son impact commercial. Ils ont aussi formulé des suggestions.
Que faire du mal-aimé boulevard Taschereau? Les plus radicaux suggèrent de le bombarder, d'autres de le raser pour recommencer à zéro.
«Malheureusement pour le boulevard Taschereau, le trafic et l'incalculable nombre de lumières rendent l'expérience de magasinage très désagréable, écrit Valérie Royer. Plus le quartier DIX30 va se développer, plus nous pourrons l'éviter.»
«Ça fait des années que le boulevard pâtit du trafic constant, des feux de circulation qui bloquent tout, de l'échangeur 10-Taschereau qui ne finit plus d'être rénové, renchérit Jean-Francois Lemire. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'un concurrent s'attaque à Taschereau.»
Bien mieux que mort le boulevard, dans ce cas? Les experts croient que non, qu'il y a même une vie après le DIX30. Mais pour ce faire, le boulevard a besoin de bien plus que le lifting promis par la Ville de Brossard: il a besoin d'une réfection en profondeur.
«Il serait facile de croire que le boulevard Taschereau est tombé en désuétude, mais il n'en est rien, note Florence Junca-Adenot, professeur au département d'études urbaines de l'UQAM. Il est moins prisé simplement parce qu'il est difficile d'accès en auto, qu'il n'est pas organisé de manière conviviale et qu'il est, en un mot, mal foutu.»
Pour redonner à cette artère «une impression d'unité de vie», une convivialité actuellement absente, Mme Junca-Adenot propose donc de rapprocher les façades commerciales de la rue, de placer les stationnements à l'arrière des immeubles et d'accroître la mixité des usages, c'est-à-dire de construire des résidences et des bureaux.
Cela rejoint d'ailleurs les propos de plusieurs lecteurs, dont Élaine Fournelle, qui estime que le boulevard Taschereau doit être revu à l'échelle humaine, plutôt qu'à celle de l'auto. Les commerçants devraient ainsi saisir l'occasion que représente l'ouverture du DIX30 et inciter la Ville à réduire la circulation automobile sur «cet horrible boulevard», soutient cette étudiante en architecture de paysage.
Attention! rétorque toutefois Marie Lessard, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal. Le boulevard Taschereau est un important axe routier qui pourrait difficilement devenir un havre piétonnier un jour, voire accueillir un tramway en raison de sa faible densité.
Réorganiser la circulation
«Il faut davantage jouer à l'échelle de l'auto, croit-elle. Pourquoi ne pas faire comme à Paris et San Francisco et séparer la circulation de transit de la circulation locale?» En d'autres mots, rétrécir les voies du centre afin d'y concentrer la circulation rapide, puis créer des voies latérales, équivalentes à des voies de service, pour desservir directement les commerces. Bref, tenter de concilier le meilleur des deux mondes.
Spécialiste du développement économique à l'INRS, Mario Polèse croit lui aussi qu'il faut mettre de côté toute tentation de transformer Taschereau en un boulevard urbain où il fait bon marcher et pédaler.
«Il serait déraisonnable de penser que la Rive-Sud peut se passer de cette artère de circulation majeure, précise-t-il. Peut-être devrait-on plutôt retirer du boulevard Taschereau sa fonction commerciale?» lance-t-il, volontairement provocateur.
Cela recoupe en quelque sorte les propos pessimistes de certains lecteurs qui estiment que si rien n'est fait, la simple fatalité mènera à l'abandon de grands pans commerciaux. Une employée du Mail Champlain prédit par exemple la «mort à petit feu» de son lieu de travail: «Le magasin Bovet à déjà fermé ses portes pour ouvrir au DIX30. Le magasin Pot Pourri ferme ses portes bientôt. Les Ailes de la mode agonise et Bowring ouvrira une nouvelle succursale au DIX30», écrit-elle.
Cela s'ajoute, comme le précisait La Presse hier, au Rona l'entrepôt et au Pier Imports qui quittent également Taschereau pour le DIX30, ainsi qu'au Wal-Mart qui songe à emboîter le pas.
Et au-delà de la réflexion urbanistique, que prévoient concrètement les villes concernées? Pas grand-chose
La Ville de Longueuil compte actualiser l'automne prochain l'étude de réaménagement du boulevard réalisé à l'époque de la MRC Champlain, laquelle est restée lettre morte à ce jour. Quant à Brossard, elle compte planter des arbres pour revitaliser le boulevard. Le maire, Jean-Marc Pelletier, affirme avoir présenté d'autres idées dans le passé, comme une navette entre différents pôles, mais son statut minoritaire lui aurait fait mordre la poussière.